L'Australie, part 2
Retour sur la grande île en bas à droite du planisphère.
J'ai remis quelques précisions sur l'article précédent; n'hésitez pas à retourner jeter un oeil !
Pour résumer la situation, l'Australie consomme de l'eau qui disparaît de plus en plus rapidement du continent. Sans elle, pas de vie possible; encore moins dans un pays qui vit en grande partie de l'agriculture.
Je vous propose quelques zooms sur la situation, histoire de mieux comprendre ce que vit la population... et comment elle la vit.
II. Quelques cas précis
• Alexandrina a un goût salé dans la bouche
Alexandrina, c'est un lac, situé à 65 kms d'Adélaïde, dans le village de Milang. Comme je vous en avais parlé, les agriculteurs pompent l'eau des rivières, dont les rivières affluentes du lac. Le courant n'est donc plus assez fort pour alimenter le lac, ni pour en chasser le sel, qui reste à la surface de l'eau. Conséquence: un écosystème dévasté.
Des vers friands de sel sont venus habiter dans le lac; ils construisent leurs doux foyers sous forme de corail, et de préférence sur les carapaces des tortues. Celles-ci sont peu à peu envahies par ce corail très solide, jusqu'à-ce que la tortue ne puisse plus sortir un seul membre de sa carapace; elle devient une proie idéale, et zioup, c'est fini pour madame tortue. Heureusement, Milang est un village plein de ressources: l'école a aménagé une marre d'eau douce dans la cour de récréation, et les classes font de nombreuses excursions pour récupérer les tortues victimes des vers. Après un jour ou deux dans de l'eau propre, la couche de corail s'en va aisément, et les tortues sont reconduites au lac salé.
Bien sûr, les poissons en souffrent aussi; la plupart des espèces (perche argentée, poisson-chat...) ont remonté la rivière pour aller plus loin, ou ont disparu. Les pêcheurs et écolos se battent pour que les agriculteurs en amont des rivières affluentes fassent plus attention, mais c'est chose difficile...
-> Quelques photos de l'endroit
(un peu pixélisées... Elles sont tirées d'un reportage réalisé par Arté.)
Petite transition entre mes deux paragraphes:
Les pélicans, eux aussi, disparaissent. Pour les populations traditionnelles, c'est un animal sacré; il vit là où les eaux se mélangent - phénomène favorable à la présence de poissons et autres animaux. Les aborigènes disent que quand les pélicans s'en vont, c'est un mauvais présage qui signifie que l'ensemble du pays est malade. Ils n'ont sûrement pas tort...
• La colère des aborigènes
Beaucoup attendaient ce petit paragraphe, je crois ! :p
Exclus de la société et ignorés par la population ( malgré leurs prédictions plutôt intéressantes sur les pélicans (cf paragraphe juste au dessus)). C'est une conséquence assez indirecte de la sécheresse, mais qui remet en question la place des aborigènes en Australie.
Creusés il y a plus de 25 000 ans, des trous d'eaux formaient une partie cruciale de leurs territoires et de leur folklore. Avec la colonisation, ces lacs ont été asséchés au profit de l'agriculture, et servent désormais comme pâturages pour les troupeaux, qui laissent dans leurs traces de sabots les ossements des ancêtres enterrés là. C'est le cas du Lac George. On y a retrouvé des traces de peuplement datant de 100 000 ans; pourtant, rien n'est protégé. Les aborigènes appellent ce lac Weereewaa ("Mauvaise Eau"); on dit qu'il avalent tous ceux qui osent l'approcher. Quand on lui manque de respect, il disparaît et se vide de son eau. Il ne réapparaîtra qu'une fois calmé.
"L'eau, c'est le sang des aborigènes." Alen Berns.
Je crois que le plus révélateur quant à la condition des aborigènes, c'est que l'on en parle très peu. Ils sont exclus de la société, de la distribution de l'eau, et les journalistes n'en parlent que très peu. Pourtant, on a vu qu'ils étaient bien plus clairvoyants sur le problème de l'eau que les autres...
• Les agriculteurs de Deniliquin
C'est un cas particulier qui me permettra de vous donner quelques chiffres, mais la situation est la même partout. Deniliquin était une charmante ville de 7 715 habitants, dont la plupart vivaient de l'agriculture. La ville produisait 1 400 000 tonnes de riz par an... puis est passée à 200 000 tonnes d'un coup. Pas assez pour maintenir l'activité. Conséquence: les employés au chomâge s'en vont en ville pour se reconvertir, la majorité des propriétés sont à vendre, l'économie de la ville est ébranlée...
Imaginez aussi les conséquences psychologiques: l'angoisse du lendemain à laquelle s'ajoute la honte. Depuis au moins quatre générations, leurs ancêtres ont défriché, planté, valorisé la terre et l'ont faite prospérer. Aujourd'hui, les fermiers trahissent l'héritage et la mission qui leur a été confiée. On dit qu'un fermier se suicide tous les quatre jours.
La situation économique des fermiers laisse aussi à désirer: comment réagir quand on dépend d'une météo totalement aléatoire ? Si certains s'en vont, d'autres empruntent et s'endettent: on achète des terrains plats pour rentabiliser l'arrosage, et des tas de systèmes de pompes, de sondes à humidité, de réservoirs, de systèmes d'arrosages souterrains pour éviter l'évaporation spectaculaire... Cela coûte des millions d'euros. Mais le fait est qu'il n'a pas plu suffisemment depuis 10 ans, et que les banques ne sont pas contentes. Argl.
Sources:
- L'Avenir de l'Eau, Erik Orsenna
- podcasts sur l'Australie par Arté
Au prochain épisode: quelques solutions mises en place.
J'ai remis quelques précisions sur l'article précédent; n'hésitez pas à retourner jeter un oeil !
Pour résumer la situation, l'Australie consomme de l'eau qui disparaît de plus en plus rapidement du continent. Sans elle, pas de vie possible; encore moins dans un pays qui vit en grande partie de l'agriculture.
Je vous propose quelques zooms sur la situation, histoire de mieux comprendre ce que vit la population... et comment elle la vit.
II. Quelques cas précis
• Alexandrina a un goût salé dans la bouche
Alexandrina, c'est un lac, situé à 65 kms d'Adélaïde, dans le village de Milang. Comme je vous en avais parlé, les agriculteurs pompent l'eau des rivières, dont les rivières affluentes du lac. Le courant n'est donc plus assez fort pour alimenter le lac, ni pour en chasser le sel, qui reste à la surface de l'eau. Conséquence: un écosystème dévasté.
Des vers friands de sel sont venus habiter dans le lac; ils construisent leurs doux foyers sous forme de corail, et de préférence sur les carapaces des tortues. Celles-ci sont peu à peu envahies par ce corail très solide, jusqu'à-ce que la tortue ne puisse plus sortir un seul membre de sa carapace; elle devient une proie idéale, et zioup, c'est fini pour madame tortue. Heureusement, Milang est un village plein de ressources: l'école a aménagé une marre d'eau douce dans la cour de récréation, et les classes font de nombreuses excursions pour récupérer les tortues victimes des vers. Après un jour ou deux dans de l'eau propre, la couche de corail s'en va aisément, et les tortues sont reconduites au lac salé.
Bien sûr, les poissons en souffrent aussi; la plupart des espèces (perche argentée, poisson-chat...) ont remonté la rivière pour aller plus loin, ou ont disparu. Les pêcheurs et écolos se battent pour que les agriculteurs en amont des rivières affluentes fassent plus attention, mais c'est chose difficile...
-> Quelques photos de l'endroit
(un peu pixélisées... Elles sont tirées d'un reportage réalisé par Arté.)
Petite transition entre mes deux paragraphes:
Les pélicans, eux aussi, disparaissent. Pour les populations traditionnelles, c'est un animal sacré; il vit là où les eaux se mélangent - phénomène favorable à la présence de poissons et autres animaux. Les aborigènes disent que quand les pélicans s'en vont, c'est un mauvais présage qui signifie que l'ensemble du pays est malade. Ils n'ont sûrement pas tort...
• La colère des aborigènes
Beaucoup attendaient ce petit paragraphe, je crois ! :p
Exclus de la société et ignorés par la population ( malgré leurs prédictions plutôt intéressantes sur les pélicans (cf paragraphe juste au dessus)). C'est une conséquence assez indirecte de la sécheresse, mais qui remet en question la place des aborigènes en Australie.
Creusés il y a plus de 25 000 ans, des trous d'eaux formaient une partie cruciale de leurs territoires et de leur folklore. Avec la colonisation, ces lacs ont été asséchés au profit de l'agriculture, et servent désormais comme pâturages pour les troupeaux, qui laissent dans leurs traces de sabots les ossements des ancêtres enterrés là. C'est le cas du Lac George. On y a retrouvé des traces de peuplement datant de 100 000 ans; pourtant, rien n'est protégé. Les aborigènes appellent ce lac Weereewaa ("Mauvaise Eau"); on dit qu'il avalent tous ceux qui osent l'approcher. Quand on lui manque de respect, il disparaît et se vide de son eau. Il ne réapparaîtra qu'une fois calmé.
"L'eau, c'est le sang des aborigènes." Alen Berns.
Je crois que le plus révélateur quant à la condition des aborigènes, c'est que l'on en parle très peu. Ils sont exclus de la société, de la distribution de l'eau, et les journalistes n'en parlent que très peu. Pourtant, on a vu qu'ils étaient bien plus clairvoyants sur le problème de l'eau que les autres...
• Les agriculteurs de Deniliquin
C'est un cas particulier qui me permettra de vous donner quelques chiffres, mais la situation est la même partout. Deniliquin était une charmante ville de 7 715 habitants, dont la plupart vivaient de l'agriculture. La ville produisait 1 400 000 tonnes de riz par an... puis est passée à 200 000 tonnes d'un coup. Pas assez pour maintenir l'activité. Conséquence: les employés au chomâge s'en vont en ville pour se reconvertir, la majorité des propriétés sont à vendre, l'économie de la ville est ébranlée...
Imaginez aussi les conséquences psychologiques: l'angoisse du lendemain à laquelle s'ajoute la honte. Depuis au moins quatre générations, leurs ancêtres ont défriché, planté, valorisé la terre et l'ont faite prospérer. Aujourd'hui, les fermiers trahissent l'héritage et la mission qui leur a été confiée. On dit qu'un fermier se suicide tous les quatre jours.
La situation économique des fermiers laisse aussi à désirer: comment réagir quand on dépend d'une météo totalement aléatoire ? Si certains s'en vont, d'autres empruntent et s'endettent: on achète des terrains plats pour rentabiliser l'arrosage, et des tas de systèmes de pompes, de sondes à humidité, de réservoirs, de systèmes d'arrosages souterrains pour éviter l'évaporation spectaculaire... Cela coûte des millions d'euros. Mais le fait est qu'il n'a pas plu suffisemment depuis 10 ans, et que les banques ne sont pas contentes. Argl.
Sources:
- L'Avenir de l'Eau, Erik Orsenna
- podcasts sur l'Australie par Arté
Au prochain épisode: quelques solutions mises en place.