Ode inachevée à la boue

Publié le par Nÿd Drakan

Soyons fous ! Un autre texte du même genre que le précédent, de Ponge - l'inventeur des proèmes, c'est bien ça.

Francis PONGE, Ode inachevée à la boue (extrait), Pièces, 1962.

  La boue plaît aux cœurs nobles parce que constamment méprisée.
  Notre esprit la honnit1, nos pieds et nos roues l'écrasent. Elle rend la marche difficile et elle salit : voilà ce qu'on ne lui pardonne pas.
  C'est de la boue ! dit-on des gens qu'on abomine, ou d'injures basses et intéressées. Sans souci de la honte qu'on lui inflige, du tort à jamais qu'on lui fait. Cette constante humiliation, qui la mériterait ? Cette atroce persévérance !
  Boue si méprisée, je t'aime. Je t'aime à raison du mépris où l'on te tient.
  De mon écrit, boue au sens propre, jaillis à la face de tes détracteurs !
  Tu es si belle, après l'orage qui te fonde, avec tes ailes bleues !
  Quand, plus que les lointains, le prochain devient sombre et qu'après un long temps de songerie funèbre, la pluie battant soudain jusqu'à meurtrir le sol fonde bientôt la boue, un regard pur l'adore : c'est celui de l'azur ragenouillé déjà sur ce corps limoneux2 trop roué de charrettes hostiles, 
dans les longs intervalles desquelles, pourtant, d'une sarcelle3 à son gué opiniâtre la constance et la liberté guident nos pas.
  Ainsi devient un lieu sauvage le carrefour le plus amène, la sente4 la mieux poudrée.
  La plus fine fleur du sol fait la boue la meilleure, celle qui se défend le mieux des atteintes du pied ; comme aussi de toute intention plasticienne. La plus alerte enfin à gicler au visage de ses contempteurs5.
  Elle interdit elle-même l'approche de son centre, oblige à de longs détours, voire à des échasses.
  Ce n'est peut-être pas qu'elle soit inhospitalière ou jalouse ; car, privée d'affection, si vous lui faites la moindre avance, elle s'attache à vous.
  Chienne de boue, qui agrippe mes chausses et qui me saute aux yeux d'un élan importun !
  Plus elle vieillit, plus elle devient collante et tenace. Si vous empiétez son domaine, elle ne vous lâche plus. Il y a en elle comme des lutteurs cachés, couchés par terre, qui agrippent vos jambes ; comme des pièges élastiques ; comme des lassos.
  Ah comme elle tient à vous ! Plus que vous ne le désirez, dites-vous. Non pas moi. Son attachement me touche, je le lui pardonne volontiers.

 

 

1 - honnir : couvrir publiquement de honte
2 - limoneux : plein de limon, de boue
3 - sarcelle : canard sauvage
4 - sente : sentier
5 - contempteur : personne qui méprise, dénigre.

Publié dans Citations

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O
Bon... Ok, je l'avoue, je suis pas venu depuis longtemps ici... Maiiis... je promets de tout rattraper dès que j'en aurai le temps ^^"Enfin bon, en tout cas je trouve les articles récents vraiment sympatiques, et même si je les ai juste lus vaguement, ils m'interressent beaucoup (non, non, vraiment :D).Mais sinon, je te souhaite un gigantesque (que dis-je, gigantissime !), tonitruant, explosif, géant : Bonne chance pour le Bac !  (oui, oui, je sais, c'est moins classe comme ça, mais j'avais peur de le mettre en super gros ^^")
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N
<br /> Mais c'est pas graaaave ! Viens quand tu auras le temps, on est pas là pour bosser ou pour avoir des comptes à rendre ! :p<br /> <br /> merciii \o/ (pour l'instant ça se passe bien !)<br /> <br /> <br />