Un peu d'Proust pour la rentrée

Publié le par Nÿd Drakan

... C'est si pratique, quand on a la flemme pas le temps de faire des articles !

Quelques passages d'Un Amour de Swann histoire de vous changer les idées ! (ou bien à apprendre par coeur pour faire croire que vous l'avez lu)

" Autrefois on rêvait de posséder le coeur de la femme dont on était amoureux; plus tard, sentir qu'on possède le coeur d'une femme peut suffire à vous en rendre amoureux. Ainsi, à l'âge où il semblerait, comme on cherche surtout dans l'amour un plaisir subjectif, que la part du goût pour la beauté d'une femme devait y être la plus grande, l'amour peut naître - l'amour le plus physique - sans qu'il y ai eu, à sa base, un désir préalable. À cette époque de la vie, on a déjà été atteint plusieurs fois par l'amor; il n'évolue plus seul suivant ses propres lois inconnues et fatales, devant notre coeur étonné et passif. Nous venon à son aide, nous le faussons par la mémoire, par la suggestion. En reconnaissant un de ses symptômes, nous nous rappelons, nous faisons renaître les autres. Comme nous possédons sa chanson, gravée en nous tout entière, nous n'avons pas besoin qu'une femme nous en dise le début - rempli par l'admiration qu'inspire la beauté - pour en trouver la suite. Et si elle commence au milieu - là où les coeurs se rapprochent, où l'on parle de n'exister plus que l'un pour l'autre - nous avons assez l'habitude de cette musique pour rejoindre toute suite notre partenaire au passage où elle nous attend."

 

Un de mes préférés, sur des monocles:
" Le Monocle du marquis de Forestelle était minuscule, n'avait aucune bordure et obligeant à une crispation incessante et douloureuse de l'oeil où il s'incrustait comme un cartilage superflu dont la présence est inexplicable et la matière recherchée, il donnait au visage du marquis une délicatesse mélancolique, et le faisait juger par les femmes comme capable de grands chagrins d'amour. Mais celui de M. de Saint-Candé, entouré d'un gigantesque anneau, comme Saturne, était le centre de gravité d'une figure qui s'ordonnait à tout moment par rapport à lui, dont le nez frémissant et rouge et la bouche lippue et sarcastique tâchaient par leurs grimaces d'être à la hauteur des feux roulants d'esprit dont étincelait le disque de verre, et se voyait préférer aux plus beaux regards du monde par des jeunes femmes snobs et dépravées qu'il faisait rêver de charmes artificiels et d'un raffinement de volupté; et cependant, derrière le sien, M. de Palancy qui, avec sa tête de carpe aux yeux ronds, se déplaçait lentement au milieu des fêtes, en desserrant d'instant en instant ses mandibules comme pour chercher son orientation, avait l'air de transporter seulement avec lui un fragment accidentel, et peut-être purement symbolique, du vitrage de son aquarium."


À propos d'une phrase dans un morceau de musique:

" Peut-être les perdrons-nous, peut-être s'effaceront-elles, si nous retournons au néant. Mais tant que nous vivons, nous ne pouvons pas plus faire que nous ne les ayons connues que nous ne le pouvons pour quelque objet réel, que nous ne pouvons par exemple douter de la lumière de la lampe qu'on allume devant les objets métamorphosés de notre chambre d'où s'est échappé jusqu'au souvenir de l'obscurité. Par là, la phrase de Vinteuil avait, comme tel thème de Tristan par exemple, qui nous représente aussi une certaine acquisition sentimentale, épousé notre condition mortelle, pris quelque chose d'humain qui était assez touchant. Son sort était lié à l'avenir, à la réalité de notre âme dont elle était un des ornements les plus particuliers, les mieux différenciés. Peut-être est-ce le néant qui est vrai et tout notre rêve est-il inexistant, mais alors nous sentons que ces phrases musicales, ces notions qui existant par rapport à lui, ne soient rien non plus. Nous périrons, mais nous avons pour otages ces captives divines qui suivront notre chance. Et la mort avec elles a quelque chose de moins amer, de moins inglorieux, peut-être de mois probable."

 

Publié dans Citations

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J
Sublime le passage des monocles :p Ah, ça donne envie de se remettre à Proust. je trouve ça fort que tu arrives à y accrocher aussi bien et aussi vite !<br /> <br /> Bon par contre j'avoue avoir du mal à le suivre avec ses phrases de cent mètres de long ; j'ai eu beau relire le dernier paragraphe, lje vois pas bien comment il arrive à cette conclusion. Surtout que la phrase de Vinteuil n'existe pas vraiment si mes souvenirs sont bons.
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N
<br /> Attends, c'est génial Proust ! Il se passe jamais rien, ce con de Swann sort avec une grosse connasse, mais il y a toujours plein d'envolées lyriques et de réflexions métaphysiques - c'est LE<br /> bouquins idéal pour le RER ! :p<br /> <br /> La phrase de Vinteuil "existe"; c'est une complilation de plusieurs morceaux, en fait : http://fr.wikipedia.org/wiki/Sonate_de_Vinteuil<br /> Mais qu'elle existe ou pas, on s'en fout; l'important c'est que Proust la fait exister, à force de l'explorer et d'en parler tout le long du roman ! Ça pourrait être n'importe quelle phrase qui t'a<br /> touché toi, dans l'absolu !<br /> <br /> La conclusion, c'est que grâce à la musique, tu peux transcender la peur de la mort. La musique, pour Proust, fait deux choses; elle s'adapte à ceux qui l'écoutent et rappellent à tous des<br /> sensations, des émotions et des souvenirs, déjà. Ça te permet de rêver, de revivre des souvenirs agréables (le coup de foudre avec l'autre abrutoche)... Et cette capacité à rêver donnée par la<br /> musique donne à celle-ci une dimension métaphysique, "divine", qui élève ton âme vers des considérations plus profondes et tout ça qui te permettent d'accepter ta mort, et même de la rendre "moins<br /> probable". L'horreur perd de sa réalité grâce à la beauté de la musique, tout ça... Un concept adopté par Baudelaire, Rimbaud, et plein d'autres !<br /> Enfin, c'est comme ça que je le lis, hein :p En plus ça colle complètement avec ma conception de la musique ! ^^<br /> xXx<br /> <br /> <br />